IA : liberté ou intensification du travail ?

Juil 25, 2025 | Actualités, freelancing

L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) bouleverse en profondeur le monde professionnel. Promesse d’un allègement des tâches répétitives, de gains de productivité, voire d’une réduction du temps de travail, l’IA nourrit autant d’espoirs que d’interrogations. En France, entre culture du présentéisme et choix politiques hésitants, les bénéfices de cette révolution restent incertains. L’IA sera-t-elle un vecteur d’émancipation… ou un outil de plus pour intensifier le travail ?

Une IA déjà bien implantée dans les usages

Selon le Baromètre de la formation et de l’emploi (avril 2025), 53 % des salariés français affirment utiliser l’IA dans leur activité. Ses usages sont variés : aide au recrutement, rédaction d’e-mails, comptes rendus de réunions, recherches documentaires… Selon une étude Odoxa menée en 2024, ces outils permettent de gagner en moyenne 57 minutes par jour.

Certaines entreprises pionnières ont su transformer cet avantage en modèle organisationnel. C’est le cas d’Elmy, PME lyonnaise spécialisée dans l’énergie verte, qui a instauré dès 2022 la semaine de quatre jours, sans perte de productivité. Sa DRH, Camille Darde, affirme que l’IA a été un accélérateur clé de cette transition.

Un temps libéré… aux usages multiples

Ce temps libéré par l’automatisation peut être utilisé de plusieurs façons :

Réduction effective du temps de travail (comme chez Elmy) ;

Accroissement de la production pour répondre à une demande croissante ;

Réduction des effectifs, au risque de détruire des emplois.

Pour Bot Resources, société spécialisée dans l’intégration de l’IA, les entreprises n’ont pas encore le recul nécessaire pour savoir comment exploiter ce temps libéré. Selon ses fondateurs, seule une répartition équitable des bénéfices avec les salariés garantira l’adhésion durable aux outils d’IA.

Des freins culturels et structurels persistants

Malgré les gains de productivité constatés, plusieurs obstacles limitent l’évolution vers une réduction du temps de travail :

Difficulté de mesurer précisément les gains d’efficacité, en particulier pour les cadres aux missions complexes ;

Rôle formatif des tâches simples, souvent perçues comme des étapes nécessaires à la montée en compétence ;

Charge mentale accrue si les journées sont entièrement consacrées à des tâches « à haute valeur ajoutée » ;

Présentéisme tenace, notamment en France, où partir tôt du bureau reste mal vu.

Comme le rappelle Yann Ferguson, sociologue et directeur scientifique du LaborIA, beaucoup de cadres associent encore la valeur professionnelle à la longueur de leur journée. Même lorsqu’ils gagnent du temps grâce à l’IA, ils ont tendance à le remplir par de nouvelles tâches.

Portage salarial : une réponse souple à un monde en mutation

Dans ce contexte mouvant, le portage salarial s’impose comme un modèle hybride adapté aux nouvelles aspirations. Il conjugue autonomie du travailleur indépendant et protection sociale du salariat. De plus en plus de cadres et experts optent pour cette formule qui leur permet :

De se concentrer sur des missions à forte valeur ajoutée grâce à l’IA ;

De déléguer les tâches administratives à leur société de portage ;

De retrouver un équilibre entre performance et qualité de vie.

Ce cadre souple offre une réponse concrète aux aspirations de liberté, de reconnaissance et de flexibilité, tout en sécurisant les parcours professionnels.

Deux visions s’affrontent : produire plus ou vivre mieux ?

Les dirigeants d’entreprise n’adoptent pas tous la même posture face à ces évolutions. Pour Yahya Fallah, de la Confédération des PME, l’IA ne doit pas servir à réduire le temps de travail, mais à répondre aux défis sociaux et environnementaux.

Chez Brawo, start-up du recrutement, le discours est similaire : le temps gagné doit permettre de faire mieux, pas de faire moins.

À l’inverse, des figures comme Bill Gates ou Jamie Dimon envisagent un avenir où les semaines de travail ne compteraient que deux à trois jours, grâce aux avancées technologiques. Une vision audacieuse, encore lointaine dans le contexte français.

Le temps de travail : une décision politique avant tout

Les grandes révolutions industrielles l’ont montré : les gains de productivité ne profitent aux salariés que si une volonté politique claire s’impose. Sans cadre légal, les bénéfices de l’IA iront d’abord aux actionnaires et aux entreprises.

Le sociologue Baptiste Avril le rappelle : réduire le temps de travail est un choix de société. À défaut d’arbitrages collectifs, l’IA pourrait devenir un levier d’exploitation, et non d’émancipation.

Réinventer le travail, pas seulement l’automatiser

L’intelligence artificielle est un outil puissant, mais elle n’est pas neutre. Sa promesse d’un travail plus flexible, plus humain et mieux réparti ne pourra se concrétiser sans un changement profond de paradigme. Il s’agira :

De repenser la culture du travail ;

De redéfinir les priorités managériales ;

D’instaurer un cadre politique capable d’encadrer et redistribuer les bénéfices de l’automatisation.

L’avenir du travail ne dépendra pas uniquement des machines, mais surtout des choix que nous ferons collectivement à leur sujet.