Cadres : le « career cushioning », ou l’art de rester prêt face à l’incertitude

Le marché de l’emploi des cadres a connu un véritable retournement en 2024. Face à la baisse des recrutements et à une incertitude économique persistante, une nouvelle posture s’impose : le career cushioning, ou l’art de préparer un plan B professionnel. Jadis discrète, cette stratégie s’est généralisée, devenant une norme pour de nombreux cadres français, désormais en veille permanente.

Une conjoncture qui nourrit la prudence

D’après une étude de l’Apec publiée en avril 2025, les recrutements de cadres ont chuté de 8 % en 2024, et la tendance reste à la baisse. Cette contraction s’explique par un ralentissement économique global, une diminution des opportunités et une multiplication des licenciements. Dans ce climat, même les cadres en poste ne se sentent plus à l’abri.

« Les cadres anticipent désormais les crises. Ils ne se contentent plus d’attendre un licenciement pour réagir. Ils scrutent les offres, observent le marché, et se tiennent prêts à rebondir », souligne Éric Gras, expert chez Indeed.

D’une posture réactive à une stratégie proactive

Autrefois, un changement professionnel survenait à la suite d’un événement déclencheur. Aujourd’hui, la démarche proactive prévaut : CV toujours à jour, profil LinkedIn soigné, veille sur les compétences émergentes, autoformation continue… Cette dynamique est particulièrement forte chez les jeunes cadres, pour qui l’anticipation est un réflexe naturel.

Dans ce cadre, certains explorent des voies alternatives comme le portage salarial. Ce modèle hybride séduit les profils expérimentés, car il allie autonomie et sécurité : protection sociale, assurance chômage, cotisations retraite… Un moyen souple de tester de nouvelles opportunités ou de préparer une reconversion tout en conservant un ancrage professionnel solide.

« On assiste à une rupture culturelle », poursuit Éric Gras. « La relation traditionnelle de dépendance à l’entreprise laisse place à une logique plus anglo-saxonne, fondée sur l’autonomie et la responsabilité individuelle. »

La stabilité remise en question

Le career cushioning s’appuie aussi sur une transformation profonde des perceptions. L’emploi stable à long terme semble de moins en moins réaliste dans un monde marqué par les crises géopolitiques, sanitaires et économiques. Même les entreprises réputées solides ne sont plus perçues comme des refuges sûrs.

Dès lors, rester en alerte devient une stratégie de survie. Se préparer à pivoter à tout moment, sans nécessairement agir, devient une posture rationnelle.

Dialogue employeurs-salariés : un levier encore sous-exploité

Malgré cette vigilance silencieuse, peu d’entreprises abordent franchement le sujet avec leurs collaborateurs. Pourtant, un dialogue ouvert sur les aspirations pourrait renforcer l’engagement et limiter les départs inattendus.

« Comprendre les projets de ses cadres, c’est se donner la chance de les accompagner dans leur évolution et de les fidéliser », insiste Éric Gras. Car souvent, les cadres ne fuient pas l’entreprise : ils cherchent simplement à ne pas subir l’avenir.

Moins d’action, plus de veille

Il est important de noter que le career cushioning ne rime pas avec mobilité à tout prix. En période d’incertitude, les cadres prennent moins de risques. Ils consultent davantage les offres d’emploi, analysent les conditions de travail, la réputation des employeurs et les perspectives de carrière… mais postulent rarement.

Cette prudence se traduit par une hausse des consultations sans candidatures : les cadres veulent rester prêts, mais attendent le bon moment.

Une agilité devenue essentielle

Plus qu’une tendance, le career cushioning reflète une transformation durable du rapport au travail. L’agilité professionnelle devient une compétence clé. Dans un environnement imprévisible, les cadres doivent entretenir en continu leur employabilité pour garder le contrôle de leur trajectoire.

Pour les entreprises, c’est à la fois un défi et une opportunité : créer un climat de confiance, encourager la mobilité interne, et offrir des perspectives d’évolution. Car si certains regardent ailleurs… c’est parfois pour mieux revenir.