Le tourisme turc face à une mutation brutale

Tout a basculé en janvier 2025, lorsque l’incendie de l’hôtel Grand Kartal, dans la station de Kartalkaya, a provoqué la mort de 78 personnes et blessé 51 autres. Ce drame a mis en lumière d’importantes lacunes en matière de sécurité incendie. Dans l’urgence, les autorités ont adopté des normes de sécurité drastiques. En conséquence, tous les établissements non conformes ont été fermés par le ministère turc du Tourisme — une décision jugée nécessaire, mais appliquée sans nuance.

À cette vague de fermetures s’est ajoutée l’obligation du « turizm işletme belgesi », une licence officielle délivrée par le ministère du Tourisme depuis 2021. Ce certificat est censé garantir des standards stricts en matière de sécurité, d’hygiène, de qualité de service et d’accessibilité. Malgré une suspension partielle décidée par la Cour constitutionnelle en octobre 2024, plus de 4 000 hôtels soit environ 17 % des 25 900 établissements recensés ont été fermés pour absence de certification, selon le site d’information turc Tele1.

Serdar Karcılıoğlu, président d’honneur de l’association des professionnels hôteliers de Bodrum, alerte : « Parmi les 4 000 établissements fermés, à peine 200 pourraient obtenir la licence et rouvrir ; les autres resteront clos ou fonctionneront de manière illégale. » Un constat sévère d’un secteur désorganisé, malgré les ambitions affichées de réforme.

Quand la réglementation accélère les fermetures

Dans les régions touristiques comme Antalya, Muğla ou le littoral égéen, de nombreux petits hôtels familiaux ont préféré fermer plutôt que d’engager des travaux jugés trop coûteux. « Parfois, les réservations ne dépassent pas 20 % », déplore Karcılıoğlu. L’absence de soutien financier pour accompagner la transition n’a fait qu’aggraver la situation.

Dans une interview au Turizm Ajansı, le professionnel critique également des statistiques officielles jugées trompeuses, où des chauffeurs routiers de passage seraient comptabilisés comme « touristes ». Pour une partie du secteur, ces fermetures massives relèvent davantage d’un durcissement administratif précipité que d’une véritable stratégie de modernisation et interviennent dans un climat économique déjà tendu.

La flambée des coûts (énergie, matières premières, salaires), conjuguée à la volatilité du pouvoir d’achat des visiteurs étrangers et aux incertitudes géopolitiques, met à mal des structures hôtelières souvent fragiles et peu préparées à une telle mutation.

Un paradoxe touristique : entre records de fréquentation et crise structurelle

Et pourtant, la Turquie bat des records. En 2024, le pays a accueilli 62,2 millions de visiteurs, générant 58,5 milliards d’euros de recettes. Pour le seul premier trimestre 2025, 8,8 millions de touristes ont généré 9,5 milliards de dollars. L’objectif fixé pour la fin d’année reste ambitieux : 65 millions de visiteurs et 64 milliards de dollars de revenus, selon L’Écho Touristique.

La fermeture de milliers d’hôtels ne signe pas l’effondrement de l’offre hôtelière turque, mais plutôt un recentrage vers une hôtellerie plus structurée, souvent haut de gamme, soutenue par des investisseurs étrangers ou des groupes internationaux. Les destinations phares Istanbul, Bodrum, la Cappadoce continuent d’attirer massivement des touristes européens, russes et moyen-orientaux.

Cette restructuration annonce toutefois la fin progressive des petites structures familiales, au profit d’une offre plus standardisée, encadrée, mais aussi potentiellement moins authentique. Un risque d’uniformisation que déplorent certains voyageurs en quête d’expériences locales et singulières.

Conseils aux voyageurs français

Avant de réserver un séjour en Turquie, il est vivement conseillé de vérifier que l’établissement dispose bien du certificat « turizm işletme belgesi ». Ce document, exigé par le ministère turc du Tourisme, garantit le respect des normes officielles. Les hôtels affiliés à des chaînes ou labellisés sont en général à jour de leurs obligations.

En cas de doute, un contact direct avec l’hôtel est recommandé. Et si une fermeture survenait après réservation, certains contrats d’assurance voyage ou de carte bancaire peuvent couvrir ce type d’imprévu. Dans un contexte réglementaire mouvant, la vigilance reste la meilleure alliée du voyageur averti.