À l’heure où les entreprises multiplient les déclarations en faveur d’un impact environnemental et social réduit, une question cruciale persiste : les pratiques internes suivent-elles réellement ces engagements ? La rémunération des dirigeants, outil stratégique par excellence, pourrait incarner ce changement. Pourtant, force est de constater qu’elle reste largement sous-utilisée pour impulser une transformation durable.
ESG et stratégie d’entreprise : un potentiel encore mal exploité
Les critères ESG – environnementaux, sociaux et de gouvernance permettent d’évaluer les engagements des entreprises au regard de la durabilité et de l’éthique. Lorsqu’ils sont intégrés à la rémunération variable des dirigeants, ils peuvent inclure des objectifs précis : réduction des émissions de CO₂, inclusion, lutte contre la corruption…
Sur le papier, ce lien entre performance extra-financière et incitations individuelles semble prometteur. Il vise à transformer les intentions en actes et à éviter le décalage entre le discours institutionnel et la réalité des pratiques.
Une mise en œuvre encore timide et peu contraignante
Une étude menée par HEC Paris et l’Université de Tübingen sur 674 dirigeants issus de 73 grandes entreprises européennes (entre 2013 et 2020) met en lumière un paradoxe : si 60 % des plans de rémunération analysés intègrent désormais des critères ESG, leur poids effectif reste marginal, souvent inférieur à 5 % des éléments incitatifs.
Ces critères, souvent formulés de manière vague ou non contraignante, peinent à influencer concrètement les comportements des dirigeants, en particulier dans les secteurs où les bénéfices ESG sont plus difficiles à quantifier. Ce manque de rigueur nuit à leur efficacité.
Une approche standardisée, déconnectée des responsabilités
Des critères mal adaptés aux fonctions des dirigeants
En théorie, les indicateurs ESG devraient être alignés avec les missions spécifiques de chaque cadre dirigeant. Ainsi, un DRH pourrait être évalué sur la diversité ou la satisfaction des salariés, tandis qu’un directeur industriel serait jugé sur la gestion des émissions ou la réduction des déchets. Or, l’étude révèle une approche uniformisée, qui ne tient pas compte des réalités opérationnelles.
Une focalisation excessive sur les PDG
Les critères ESG sont majoritairement attribués aux PDG et directeurs financiers, reléguant les autres cadres stratégiques à l’arrière-plan. Ce choix limite l’effet levier sur l’ensemble de l’organisation et freine l’appropriation des enjeux ESG à tous les niveaux de responsabilité.
ESG et rémunération : entre greenwashing et véritable levier de transformation
Dans de nombreux cas, les critères ESG intégrés à la rémunération relèvent davantage de la communication que d’une volonté réelle de changement. Cette logique de façade vise à répondre aux attentes des investisseurs, des régulateurs et de l’opinion publique sans garantir d’impact réel.
Mais dans certains secteurs où la durabilité est étroitement liée à la performance économique, ces critères deviennent un levier efficace. Lorsqu’ils sont définis de manière précise, mesurable et alignée sur les priorités stratégiques, ils participent activement à la transformation de la gouvernance.
Pour une réforme en profondeur des politiques de rémunération
Une réforme des pratiques s’impose pour donner aux critères ESG la portée qu’ils méritent. Cela passe par :
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Une plus grande transparence dans la définition, la pondération et l’évaluation des objectifs ESG ;
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Un alignement fin entre les critères retenus et les responsabilités spécifiques de chaque dirigeant ;
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Une implication plus large de l’ensemble des cadres stratégiques dans les objectifs de durabilité.
Les entreprises ne peuvent plus se contenter de postures symboliques. Pour incarner de véritables acteurs du changement, elles doivent faire des critères ESG un pilier central de leur stratégie de gouvernance. Cela implique de repenser la rémunération des dirigeants non comme un simple outil d’attractivité, mais comme un levier de transformation au service d’un avenir plus durable et plus responsable.