Quiet Cutting : une stratégie insidieuse de mise au placard

Mar 25, 2025 | Actualités, Jurisprudence

Après le quiet quitting ou démission silencieuse des salariés désengagés un autre phénomène émerge : le quiet cutting, ou licenciement silencieux. Cette pratique désigne une stratégie sournoise utilisée par certaines entreprises pour pousser un salarié à partir sans procéder à un licenciement ni à une rupture conventionnelle. En France, ce phénomène est mieux connu sous le nom de placardisation, une manœuvre fréquente mais illégale.

Qu’est-ce que la placardisation en entreprise ?

La placardisation, ou mise au placard, correspond à l’exclusion progressive d’un salarié de la vie active de l’entreprise. Elle se manifeste par diverses stratégies visant à l’isoler, le démotiver et, in fine, le pousser à la démission. Parmi les méthodes les plus courantes :

  • Diminution des responsabilités : le salarié est privé de ses missions habituelles et devient spectateur de l’activité.
  • Exclusion des projets et des décisions : il est écarté des réunions stratégiques et des discussions importantes.
  • Isolement social et professionnel : son poste est déplacé dans un bureau éloigné, ou il est exclu des communications internes.
  • Critiques répétées et injustifiées : son travail est systématiquement dévalorisé, engendrant stress et incertitude.

Bien que la loi ne définisse pas explicitement la placardisation, elle est assimilée à du harcèlement moral, interdit par l’article L.1152-1 du Code du travail. Un employeur reconnu coupable s’expose à de lourdes sanctions.

Les risques juridiques pour l’employeur

Si la placardisation est avérée, plusieurs recours sont possibles pour le salarié :

  • Harcèlement moral : l’employeur peut être condamné à verser des dommages et intérêts.
  • Inexécution du contrat de travail : l’obligation de fournir un travail effectif n’est pas respectée.
  • Modification unilatérale du contrat : la suppression des missions sans accord du salarié peut être considérée comme une rupture abusive.
  • Licenciement déguisé : la justice peut requalifier le départ forcé en licenciement abusif.

Par ailleurs, la jurisprudence commence à reconnaître le bore-out – l’ennui au travail – comme un facteur de souffrance professionnelle (CA Paris, 2 juin 2020, n°18/05421), renforçant ainsi la protection des salariés concernés.

Comment identifier un quiet cutting ?

La placardisation est souvent progressive et insidieuse. Voici quelques signaux d’alerte :

  • Absence de feedback ou d’évaluation constructive.
  • Suppression inexpliquée des tâches habituelles.
  • Exclusion des réunions et des discussions professionnelles.
  • Isolement physique (bureau éloigné, télétravail imposé).
  • Détérioration du climat de travail (ignorance, attitude passive-agressive).

L’entretien annuel peut être une occasion de déceler un changement d’attitude de l’employeur.

Comment réagir face à une mise au placard ?

1. Documenter la situation

Il est essentiel de rassembler des preuves concrètes :

  • E-mails ignorés ou supprimés.
  • Modifications soudaines des responsabilités.
  • Témoignages de collègues.
  • Absence d’objectifs clairs ou d’évaluations professionnelles.

2. Dialoguer et alerter en interne

Parler avec son manager ou les ressources humaines peut permettre d’obtenir des explications. Il est aussi recommandé de prévenir le CSE (Comité Social et Économique) ou un syndicat pour bénéficier d’un soutien.

3. Consulter un avocat ou l’Inspection du Travail

Si la situation persiste, un avocat en droit du travail peut aider à constituer un dossier. L’Inspection du Travail est également un interlocuteur clé pour signaler des abus.

Rebondir professionnellement avec le portage salarial

Face à une situation de placardisation, envisager une reconversion peut être une solution. Toutefois, quitter un emploi comporte des risques financiers. Le portage salarial représente une alternative sécurisée, offrant :

  • Un contrat de travail, avec protection sociale (assurance chômage, retraite, mutuelle).
  • Une gestion administrative simplifiée, sans les contraintes de l’entrepreneuriat.
  • Un filet de sécurité financier, grâce à une rémunération continue.

Cette option est particulièrement appréciée par les cadres et experts en transition professionnelle.

Pourquoi les entreprises pratiquent-elles le quiet cutting ?

Cette stratégie est motivée par des considérations économiques. Depuis septembre 2023, la rupture conventionnelle est moins attractive pour les employeurs en raison d’une contribution patronale de 30 % sur l’indemnité de rupture. Certains préfèrent donc pousser un salarié à partir de lui-même, sans indemnité.

Néanmoins, cette approche est risquée : les contentieux liés à la placardisation peuvent coûter bien plus cher qu’un licenciement classique.

Le quiet cutting est une tentative déguisée de contourner les obligations légales en matière de licenciement. Face à cette situation, un salarié ne doit ni rester passif, ni se laisser isoler. Documenter les faits, réagir rapidement et solliciter un accompagnement professionnel sont des étapes essentielles pour préserver ses droits et envisager une transition professionnelle en toute sérénité.