Franchise de TVA : une contestation grandissante

Le gouvernement français fait face à une vive opposition concernant l’abaissement du seuil de franchise de TVA pour les petits entrepreneurs. Intégrée au budget 2025, cette mesure suscite des tensions croissantes parmi les acteurs économiques et politiques. Face à la fronde, Bercy envisage désormais plusieurs alternatives, voire un abandon pur et simple.

Une réforme discrète devenue explosive

Depuis début février, la ministre des PME, Véronique Louwagie, pilote une concertation autour d’une mesure passée inaperçue lors des débats budgétaires : la réduction du seuil de franchise de TVA à 25.000 euros de chiffre d’affaires annuel, contre 37.500 euros actuellement pour les prestations de services et 85.000 euros pour le commerce de biens.

Si cette réforme devait entrer en vigueur le 1ᵉʳ mars, elle impacterait près de 200.000 autoentrepreneurs, contraints de facturer la TVA à leurs clients et de la reverser à l’État. Pour certains, cela représenterait un surcoût estimé à 4.000 euros par an, une charge non négligeable pour ces travailleurs indépendants.

Face à la contestation grandissante, le ministre de l’Économie, Eric Lombard, a décidé de suspendre l’application de la mesure en attendant les conclusions de la concertation, prévue pour le 1ᵉʳ mars.

« L’arbitrage sera pris dans les jours qui suivront », Cabinet de Véronique Louwagie

Un équilibre fragile entre équité fiscale et protection des indépendants

Le gouvernement justifie ce projet par un objectif central : réduire les distorsions de concurrence entre les autoentrepreneurs et les entreprises classiques, soumises à la TVA dès le premier euro de chiffre d’affaires.

Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P), soutient cette réforme, notamment dans des secteurs comme le bâtiment, la coiffure à domicile et les microbrasseries, où l’exonération de TVA des autoentrepreneurs leur offrirait un avantage compétitif.

À l’inverse, la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE) dénonce une mesure qui mettrait en péril de nombreux indépendants, les forçant à cesser leur activité ou à augmenter leurs tarifs, au risque de perdre leur clientèle.

Sur le plan budgétaire, Bercy espérait récolter 400 millions d’euros en 2025 et 800 millions en année pleine grâce à cette réforme. Mais l’opposition massive des acteurs économiques et politiques menace désormais cette ambition.

Une fronde politique qui prend de l’ampleur

Si la mesure a été adoptée dans le budget 2025, elle est aujourd’hui remise en question jusque dans les rangs de la majorité présidentielle.

Une centaine de députés et sénateurs macronistes, emmenés par Gabriel Attal, Olivia Grégoire et Guillaume Kasbarian, ont signé une tribune publiée dans La Tribune Dimanche appelant à un abandon définitif de la réforme.

De leur côté, une trentaine de députés Horizons, sous l’impulsion de Thomas Lam, ont déposé une proposition de loi visant à supprimer la mesure.

Dans l’opposition, LFI et le Parti socialiste réclament également son abrogation. « Il n’est pas possible d’imposer une telle réforme sans concertation, alors qu’elle touche aussi durement les autoentrepreneurs », Mathieu Lefèvre, député EPR

Si certains reconnaissent que la franchise de TVA crée des distorsions de concurrence, ils estiment que cette réforme ne résoudrait pas le problème et risquerait d’affaiblir encore davantage les indépendants.

Les options sur la table : Bercy face à un choix délicat

Devant cette levée de boucliers, plusieurs scénarios sont envisagés :

🔹 Un seuil unique de 37.500 euros
Le seuil actuel des prestations de services serait maintenu, mais celui du commerce de biens (actuellement à 85.000 euros) serait abaissé à 37.500 euros. Objectif : réduire la distorsion de concurrence tout en limitant l’impact sur les entrepreneurs.

🔹 Une réduction du seuil ciblée sur le bâtiment
Cette option viserait exclusivement le secteur du bâtiment, où les entreprises dénoncent une concurrence jugée déloyale avec les autoentrepreneurs.

🔹 Un report d’un an
Une manière pour le gouvernement de gagner du temps, en repoussant la décision au budget 2026. Cela permettrait d’affiner la mesure et d’éviter un passage en force.

🔹 Un abandon total
Face à la pression politique et à l’opposition des indépendants, un abandon pur et simple de la réforme semble désormais une hypothèse crédible.

Selon une source parlementaire, Bercy aurait déjà renoncé à tout objectif de rendement fiscal pour 2025, ce qui ouvre la voie à une annulation complète.

Un dilemme politique majeur à l’approche des élections européennes

La décision finale sera scrutée de près, car elle concerne des centaines de milliers d’indépendants et pourrait envoyer un signal fort sur la politique économique du gouvernement envers les petites entreprises.

Si la réforme a été validée dans le budget 2025, il semble peu probable qu’elle soit appliquée en l’état. Bercy se retrouve face à un dilemme politique : préserver les équilibres budgétaires sans provoquer une fronde des indépendants, un électorat clé à quelques mois des élections européennes.

Dans un contexte économique tendu – croissance atone, inflation persistante, grogne sociale – le gouvernement semble contraint de revoir ses ambitions fiscales.

L’arbitrage final, attendu dans les prochains jours, déterminera l’issue de cette controverse et pourrait bien sceller le sort de cette réforme.