France : un paradoxe du marché de l’emploi

Fév 28, 2025 | Actualités, Réussite

La France traverse actuellement un paradoxe préoccupant : alors que le taux de chômage est en hausse, de nombreuses entreprises peinent à pourvoir certains postes. Une étude menée par WTW France en janvier révèle qu’à la fin de l’année dernière, 37 % des entreprises françaises faisaient face à des difficultés de recrutement. Ce déséquilibre, qui touche aussi bien les secteurs traditionnels que les métiers émergents, s’explique par plusieurs facteurs structurels et conjoncturels.

Un déséquilibre persistant entre l’offre et la demande

Des métiers en tension

Les secteurs du BTP, de l’hôtellerie-restauration et des technologies émergentes, comme l’intelligence artificielle (IA), sont particulièrement affectés. Les profils de professionnels de l’IA, de data analysts et de commerciaux sont parmi les plus recherchés. Cette demande accrue s’explique par la digitalisation croissante des entreprises et la nécessité d’exploiter des volumes massifs de données pour rester compétitives. Pourtant, l’offre de candidats qualifiés reste insuffisante.

Sophie Lazaro, directrice Capital Humain chez Deloitte, souligne ce déséquilibre : « Il n’y a pas assez de personnel qualifié sur ces métiers pour lesquels la demande des entreprises est forte. »

Face à cette pénurie, certaines entreprises n’ont d’autre choix que de revoir leurs stratégies d’embauche, notamment en augmentant les salaires pour attirer les talents. « Les entreprises qui en ont les moyens vont sortir le chéquier », confirme Morgan Philippe, directeur des opérations du groupe Alixio.

Des difficultés accrues pour les métiers manuels et techniques

Au-delà des métiers technologiques, les postes manuels et techniques souffrent également d’un manque d’attractivité. Serveurs, cuisiniers, ouvriers du BTP, techniciens de maintenance, soudeurs dans l’énergie : ces professions rencontrent de plus en plus de difficultés de recrutement. Avant la pandémie de COVID-19, ces tensions concernaient principalement les cadres ; aujourd’hui, même les emplois dits « cols bleus » sont touchés.

Cette situation s’explique en partie par des conditions de travail jugées contraignantes. Caroline Philippe-Janon, directrice candidate intérimaire chez Adecco, précise : « Il faut accepter de travailler dehors, parfois dans le froid, avec un rythme différent de celui de la majorité des actifs. » Les attentes des candidats ont évolué, privilégiant désormais un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle.

Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des DRH (ANDRH), observe : « La dimension contraignante est moins acceptée qu’avant. À salaire égal, les candidats préfèrent aller dans une entreprise où ils ne travailleront pas le samedi. »

Une inadéquation entre formation et besoins du marché

L’un des principaux obstacles au bon fonctionnement du marché de l’emploi réside dans le décalage entre les compétences des demandeurs d’emploi et les besoins des entreprises. Ce problème est accentué par des systèmes de formation qui peinent à s’adapter aux évolutions technologiques et aux nouvelles exigences du marché.

Laurent Termignon, expert chez WTW, est catégorique : « Il y a une inadéquation entre les besoins des entreprises et les formations des demandeurs d’emploi. »

Les formations traditionnelles peinent à répondre aux exigences des secteurs de pointe comme l’intelligence artificielle, le développement informatique ou la cybersécurité. Par ailleurs, certains métiers techniques essentiels restent souvent négligés par les jeunes générations, qui privilégient des carrières perçues comme plus valorisantes ou moins exigeantes physiquement.

La question de la localisation géographique

Au-delà des compétences et des conditions de travail, la localisation des entreprises joue un rôle clé dans les difficultés de recrutement. Certaines régions connaissent des pénuries de main-d’œuvre, non pas par manque de compétences, mais en raison d’un bassin d’emploi insuffisant pour répondre à la demande locale.

Cette situation oblige les entreprises à recruter en dehors de leur zone habituelle, entraînant des coûts supplémentaires et rendant le processus de recrutement plus complexe.

Les seniors : un vivier de talents sous-exploité

Face à ces défis, l’élargissement des critères de recrutement pourrait constituer une solution. Les travailleurs seniors, par exemple, représentent une ressource précieuse souvent négligée. En 2023, selon la Dares, seulement 58,4 % des Français âgés de 55 à 64 ans étaient en emploi, contre une moyenne de 63,9 % dans l’Union européenne. Cette sous-représentation s’explique notamment par des préjugés persistants à l’égard des travailleurs plus âgés.

Pourtant, ces derniers possèdent des compétences transférables précieuses. Morgan Philippe du groupe Alixio plaide pour une meilleure intégration des seniors : « À 50 ans, vous êtes déjà considéré comme un rebut, ce qui entraîne une perte de compétences que les entreprises ne savent pas remplacer. »

Adapter les formations continues à ces profils permettrait non seulement de pallier les pénuries de talents, mais aussi de valoriser l’expérience au sein des entreprises.

Vers une nécessaire adaptation des entreprises

Pour surmonter ces défis, les entreprises doivent repenser leurs stratégies de recrutement. Cela passe par :

  • L’amélioration des conditions de travail : offrir plus de flexibilité, des horaires adaptés et de meilleures conditions physiques pour rendre certains métiers plus attractifs.
  • La diversification des profils recrutés : élargir les critères de sélection aux profils atypiques, aux seniors et aux personnes en reconversion.
  • L’investissement dans la formation : développer des programmes de formation interne pour combler le fossé entre les compétences disponibles et celles requises.
  • L’adaptation aux réalités géographiques : encourager la mobilité ou le télétravail pour surmonter les contraintes liées à la localisation.

Face à l’évolution des attentes des candidats, à l’inadéquation des formations et à la sous-exploitation de certains viviers de talents, les entreprises doivent s’adapter rapidement pour rester compétitives. Le marché de l’emploi de demain sera celui qui saura conjuguer attractivité, flexibilité et innovation.